ALECA entre craintes et opportunités !

Leaders – Fatma Marrakchi Charfi -Professeur d’Economie- 31 mai 2016

marakchiL’Accord de Libre Echange Complet et Approfondi (ALECA) n’est pas un accord d’association conventionnel qui consiste en un démantèlement tarifaire, comme c’était le cas pour l’accord d’association de 1995, mais plutôt un accord pour l’harmonisation de la réglementation tunisienne par rapport à la réglementation européenne. Hormis, le commerce des produits agricoles, agricoles transformés et produits de la pêche qui sera concerné par le démantèlement tarifaire et non tarifaire, les autres volets qui sont au nombre de 12 seront plus soumis à un lifting réglementaire par rapport à l’acquis communautaire qu’à une libéralisation au sens conventionnel du terme.

Les 12 domaines couverts par l’ALECA sont : le commerce des services, l’établissement et la protection des investissements, les marchés publics, les mesures sanitaires et phytosanitaires, les règlements techniques pour les produits industriels, la transparence des réglementations, la politique de concurrence, la propriété intellectuelle, les mesures anti-dumping et compensatoires, le développement durable, les aspects liés au commerce de l’énergie, les douanes et la facilitation du commerce.

De ce point de vue, l’ALECA doit être considéré comme un ensemble de réformes à mettre en place pour rejoindre ou du moins pour se rapprocher des standards de la réglementation communautaire européenne. Ainsi, c’est bien un choix sociétal que nous faisons tout en étant conscient que nous allons vers un choix d’économie de marché.

De ce fait, nous trouvons ceux qui sont pour et ceux qui sont contre ce projet (les pro-ALECA et les anti- ALECA). Si les pro-ALECA soutiennent l’idée qu’ « Il n’y a pas de compétitivité sans compétition »,et que la convergence réglementaire est censée nous mettre sur le sentier « des bonnes pratiques ou best practices », les anti-ALECA défendent la thèse que la convergence au niveau de la réglementation mettra en danger la souveraineté nationale et menacera les petites et moyennes entreprises qui constituent l’essentiel du tissu économique en Tunisie.

Comment est régi l’accord sur les services?

En acceptant ce choix économique, les parties (Tunisie et Union Européenne) arrêtent, par cet accord, les dispositions nécessaires à la libéralisation progressive et réciproque du commerce des services, et la libéralisation et la protection de l’investissement en conformité avec les règles de l’OMC (organisation mondiale du commerce). En effet, le commerce des services est régi par l’accord général sur le commerce des services (AGCS) ou (GATS : General Agreement on Trade in Services), où les services sont négociés sous forme de modes:

  • le mode 1 englobe tout ce qui est commerce des services qui se fait entre un prestataire et un consommateur sans aucune interaction physique et concerne tous les échanges de services dont les paiements se font en ligne via internet (commerce électronique qui accompagne le commerce des services).Dans ce cas, la contrainte de change sur les opérations extérieures sera un frein pour le paiement en ligne des services importés par les tunisiens qui n’ont pas la possibilité de payer par carte électronique.
  • Le mode 2 concerne l’échange des services dont la consommation nécessite le déplacement du consommateur à l’étranger tel que le tourisme, les soins médicaux etc…
  • Le mode 3 englobe la fourniture du service qui nécessite une présence commerciale du prestataire du service dans le pays du consommateur (l’établissement du prestataire du service en question) d’où la présence du volet investissement avec le volet commerce des services.
  • Le mode 4 concerne la mobilité des personnes et donc l’octroi des visas pour les prestataires de services d’une manière temporaire, tout en sachant que le volet immigration n’est pas concerné par cet accord et qu’il fait l’objet d’un accord à part, à discuter avec l’UE.
  • Les  modes se présentent comme suit:

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La règle dans ces négociations entre les deux parties qui sont la Tunisie et l’UE, est la non-discrimination qui constitue la pierre angulaire de toute négociation multilatérale. En effet, dans le cadre de l’OMC, la non-discrimination se base sur les deux principes suivants:

  • la clause du traitement national, globalement, sans vouloir être technique, interdit de favoriser les producteurs nationaux  par rapport aux entreprises étrangères.
  • la clause de la nation la plus favorisée stipule que tout avantage octroyé à un pays devrait être étendu à tous les autres pays signataires de l’accord.

Si les règles des accords prônent la réciprocité, le rapport entre les deux parties est au départ très déséquilibré puisque la valeur ajoutée des services en Tunisie représente à peine 0,2% celle de l’UE, de même que la relation des échanges est asymétrique entre les deux partenaires. En effet, les exportations tunisiennes sont dépendantes à hauteur d’environ 40% du marché européen, alors que 0,2% seulement, des exportations européennes de services sont destinées à la Tunisie. On souligne au passage que la balance des services de la Tunisie est excédentaire et particulièrement celle vis-à-vis de l’UE. En effet, en 2014, le solde de la balance des services vis-à-vis de l’UE est de + 1,7 milliard d’euros en faveur de la Tunisie. Les exportations tunisiennes de services vers l’UE est de 3,3 milliards d’euros alors que les importations sont voisines de 1,5 milliard d’euros. De même qu’il existe un déficit de diversification en Tunisie, qui pourrait être contraignant dans la perspective d’un ALECA entre les deux parties. Ces différences de grandeurs permettent-elles à l’Union Européenne de présenter une offre aussi déséquilibrée?

L’examen de l’offre européenne concernant le commerce des services et de l’investissement, telle que publiée sur le site www.aleca.tn(version 26/4/2016) nous semble « abusive », même si certains ont tendance à ne pas lui accorder beaucoup d’importance. Toutefois, elle constitue la base de négociation du moins pour la partie européenne.

Il est opportun de rappeler qu’une négociation doit être faite sur la base d’une offre et d’une demande. Par conséquent, il est important, d’un point de vue méthodologique, d’analyser l’offre européenne mais il est encore plus important d’élaborer une demande tunisienne ou une contre-offre tunisienne. Pour exprimer une demande tunisienne, qui respecte le principe de réciprocité, il est important d’établir une liste des secteurs les plus prêts à affronter la concurrence européenne et donc les plus performants et qui peuvent être compétitifs par rapport aux services européens. Ensuite, la demande doit émaner du secteur identifié et des professionnels de ce secteur quant aux conditions d’accès au marché européen, l’accès au financement, les conditions de mobilité des personnes etc…. Ainsi, afin de réussir les négociations, la démarche devrait être «offensive» en confrontant une demande qui reflète les attentes des tunisiens par rapport à une offre européenne, que l’on peut qualifier d’abusive.

Pourquoi l’offre européenne est-elle abusive?

En examinant l’offre européenne, qui concerne les services et l’investissement et qui semble tenir compte de la réciprocité et de la non-discrimination, du moins dans son apparence, on se rend compte qu’elle est totalement déséquilibrée puisque la mobilité des tunisiens est conditionnée par l’obtention d’un visa pour un séjour à l’étranger (référence au mode 4), alors que les européens peuvent entrer sur le territoire national juste avec un passeport et sans visa. Conditionner l’entrée des tunisiens même temporaire, pour offrir un service à l’obtention d’un visa est une forme de discrimination qui va à l’encontre de l’esprit de cet accord. Outre l’obtention du visa le prestataire d’un service temporaire doit avoir un permis de travail. Tout ceci engendre un coût en temps et en argent pour le tunisien qui ne sera pas supporté par l’européen.

L’examen de l’offre montre qu’elle est conditionnée et qu’elle contient des exceptions dont nous citerons quelques-unes:

1 –Concernant le volet investissement, l’offre stipule qu’aucune des parties (Tunisie/Union Européenne) ne peut :

  • pratiquer les limitations concernant le nombre d’entreprises désireuses de s’implanter. Dans ce cas, la partie tunisienne pourrait être inondée de firmes européennes dans un secteur donné. C’est les règles du marché diriez–vous ? mais en partant d’une situation asymétrique initialement, il faut savoir quels secteurs seraient prêts à prendre ce risque.
  • pratiquer les limitations concernant la valeur totale des transactions ou avoirs. Ainsi, la partie tunisienne ne peut limiter les importations de l’investisseur européen dans un secteur particulier.
  • pratiquer les limitations concernant la participation du capital étranger, exprimées sous la forme d’une limite maximale en pourcentage de la détention d’actions par des étrangers, ou concernant la valeur totale d’investissements étrangers. Dans ce cas, les européens affronteront la réglementation de change en Tunisie qui est limitative pour certaines opérations et discriminatoire vis-à-vis de l’investisseur étranger. Ainsi, on devrait se poser la question est ce qu’on est prêt à desserrer la contrainte de change en Tunisie pour certains secteurs ou certaines opérations ? ou allons-nous vers une convertibilité totale du dinar ? ceci peut être un exercice périlleux pour la Tunisie, puisque les conditions nécessaires pour une convertibilité totale du dinar ne sont pas encore réunies.
  • exiger de transférer une technologie, un procédé de production ou un autre savoir-faire exclusif à une personne physique ou morale située sur son territoire. Cette contrainte empêche la Tunisie de bénéficier d’un transfert technologique des investisseurs étrangers sur son sol.
  • exiger d’atteindre un niveau ou un pourcentage donné de contenu national dans la production européenne. Ceci permettra à l’investisseur européen de limiter son activité au seul assemblage sur le sol tunisien. Ce qui empêche la Tunisie de s’insérer dans les chaines de valeurs internationales.

2 – Pour ce qui est des services, les limitations concernent principalement la présence temporaire de personnes physiques à des fins professionnelles. Autrement dit, ce volet concerne l’octroi de visas aux tunisiens puisque la partie européenne n’est pas concernée par les restrictions sur la mobilité des personnes. L’offre propose:

  • Que l’admission et le séjour temporaire sont accordés pour une période maximale de

– 3 ans pour les dirigeants/cadres et les experts,
– 1 an pour les employés stagiaires et
– 90 jours sur toute période de 12 mois pour les visiteurs en déplacement d’affaires aux fins d’établissement.

Rien n’est dit sur les permis de travailler qui sont essentiels pour les prestataires de services tunisiens.

  • des limitations ou des réserves concernant les visiteurs en déplacement d’affaires et les personnes faisant l’objet d’un transfert temporaire intragroupe. Elles peuvent être des restrictions concernant le nombre total de personnes physiques qu’un investisseur peut employer comme visiteurs en déplacement d’affaires et personnes faisant l’objet d’un transfert temporaire intragroupe dans un secteur spécifique. Ce qui ne peut être appliqué qu’aux tunisiens évidemment. S’agit-il d’une entrée sélective de la part de l’UE ou d’une sorte de visa bis?

Malgré, toutes ces appréhensions, la libéralisation des services qui peut en réduire les prix (assurance, transport, frais bancaires, ….) ne peut qu’être bénéfique pour l’échange de produits industriels déjà libéralisés.

Cet écrit n’a pas pour objectif de dresser un tableau sombre de l’ALECA, mais surtout d’insister sur les appréhensions pour aborder d’une manière « sereine » les négociations.
Ainsi les questions qu’on doit se poser:

  • est ce qu’il y a des prestataires de services qui sont en mesure de concurrencer leurs homologues européens sur leur territoire?
  • est ce qu’il y a des prestataires de services qui devront se protéger de la concurrence européenne sur notre territoire?
  • quels sont les secteurs prêts à la concurrence et ceux qui le sont moins?

Ce sont là des questions qui doivent interpeller les négociateurs tunisiens qui doivent en tenir compte pour mener les négociations. De ce fait, il ne faut pas discuter sur l’offre européenne uniquement mais construire une demande tunisienne ou une contre-offre émanant des secteurs. Ensuite confronter la demande à l’offre pour réduire le gap entre les deux. Il s’agit en fait, d’avoir une approche offensive par rapport à ces négociations.

Au final, l’ALECA doit être considéré comme une occasion pour réformer et améliorer la performance des secteurs économiques, puisqu’il s’agit de converger vers l’acquis communautaire en termes de réglementation et se mettre sur le sentier des « best practices ». Ainsi, nous devons capitaliser sur cet accord afin d’en faire une opportunité et non une menace en élaborant une contre proposition conforme aux attentes socioéconomiques de la Tunisie post révolution.




Première réunion consultative avec la société civile…

La Presse de Tunisie – 14 avril 2016

lapresse… en prévision du 1er round des négociations avec l’UE qui aura lieu à Tunis du 18 au 21 avril
La première réunion consultative et participative du gouvernement avec la société civile sur le démarrage des négociations du 1er round sur l’Aleca (Accord de libre-échange complet et approfondi) s’est tenue hier, à Tunis.
Les négociations, dont le premier round aura lieu du 18 au 21 avril, sont fondées sur une nouvelle approche en matière de gouvernance et de participation, particulièrement en ce qui concerne le suivi des négociations, a affirmé le conseiller économique du chef du gouvernement Ridha Ben Mosbah.
A cet égard, une réunion participative sera organisée avant et après chaque round de négociations, outre la présence des représentants de la société civile dans les commissions consultatives chargées du suivi de l’Aleca, a-t-il indiqué, précisant qu’une série de rencontres avec la société civile dans les régions de l’intérieur est également programmée.

Un site web

Une nouvelle stratégie de communication a été en outre adoptée par le gouvernement, selon la directrice générale de l’Unité de gestion par objectifs, Fatma Oueslati. Elle porte, notamment, sur l’élaboration d’un site web portant sur les nouvelles des négociations de l’Aleca.
Ce site qui sera lancé le premier jour des négociations (18 avril) constitue une plate-forme d’échanges avec la société civile et comporte des réponses sur les principales questions posées par la société civile.
Selon le ministre chargé des Relations avec les Instances constitutionnelles, Kamel Jendoubi, le gouvernement prendra en considération les avis des experts et universitaires qui déposent des études et des propositions.
Des représentants de la société civile (universitaires, experts, structures…) ont appelé à élargir davantage la participation de la société civile aux négociations de l’Aleca.

Pas de séances d’audition

Pour l’universitaire Sami Aoudi, il faut organiser une véritable consultation avec la société civile et ne pas se contenter de séances d’audition afin de permettre à la société civile d’être une force de proposition.
Il a, également, recommandé d’examiner les conditions d’insertion de la Tunisie dans l’économie mondiale, appelant à inscrire le dossier de l’émigration et du recyclage des dettes à l’ordre du jour des négociations sur l’Aleca.
Rappelons que le 1er round des négociations sera consacré à la lecture commune et approfondie (article par article) de la proposition européenne relative à cet accord portant sur 13 chapitres dont les secteurs des services, l’agriculture, la législation, les réglementations techniques, la concurrence, les marchés publics, la subvention, le développement durable et l’investissement, a précisé Ridha Ben Mosabah, lors de la 1ère réunion consultative et participative avec la société civile sur le 1er round sur l’Aleca.
Le nouveau round permettra, également, à la partie tunisienne de demander de son vis-à-vis européen des éclaircissements, sans prendre d’engagement en vue de pouvoir étudier la proposition européenne.
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Trêve d’opacité sur les négociations de l’ALECA

L’Economiste Maghrébin – Ridha Ben Slama – 12 avril 2016

Les craintes exprimées aussi bien par des organisations de la société civile que par des journalistes sont essentiellement dues à un déficit de communication, un climat d’opacité totale imposé par les gouvernements tunisiens successifs et le black-out inconcevable sur le contenu de ces négociations.

economiste-magLe Luxembourg accueillera, le 18 avril 2016, la réunion du Conseil d’association Tunisie-Union européenne et le coup d’envoi du premier cycle des négociations de l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) sera donné.

Les relation tuniso-européennes sont bien établies à travers l’histoire et la géographie, une mémoire commune et des échanges économiques et culturels soutenus. L’Europe est, et demeurera de loin notre premier partenaire sur tous les plans.

C’est une évidence qu’il convient de rappeler de temps en temps à ceux qui divagueraient en conjecturant sur d’autres alternatives absolument illusoires. Comment ne pas se rappeler ce qu’écrivait Sylvain Kahn, professeur d’histoire de l’intégration européenne à Sciences Po, dans l’euphorie du moment, il y a de cela exactement 5 ans (le journal Le Monde du 2.03.2011) :

«Pour l’Europe, comment soutenir la Tunisie ? Comment la conforter ? Comment s’engager aux côtés des Tunisiens enfin libres ? En prenant un engagement généreux, audacieux, durable et responsable : celui d’ouvrir l’UE à une adhésion de la Tunisie. Une telle politique serait la plus pertinente sur tous les plans : idéalisme, intérêt, géopolitique, réalisme».

En fait, il s’agit de consolider le socle de ces relations et de les rénover par un effort commun vers plus d’équité. Le principe d’équité est primordial pour maintenir une relation partenariale durable et bénéfique. Cela dépend de nos partenaires, mais aussi de nous-mêmes. La compétence de nos négociateurs est sollicitée aujourd’hui plus que jamais au cours de cette nouvelle étape.

L’Union européenne a déjà mis sur la table, depuis 2015, un lot de drafts se rapportant à plusieurs domaines (le commerce des services, la libéralisation et la protection de l’investissement, la coopération en matière de commerce électronique, la protection des droits de propriété intellectuelle, le commerce et développement durable, les obstacles techniques au commerce, les mesures sanitaires et phytosanitaires, les dispositions relatives au commerce de l’énergie, les mesures commerciales, les procédures douanières et la facilitation des échanges, la transparence, la concurrence et autres dispositions économiques).

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Pour un nouveau partenariat entre la Tunisie et l’Union européenne

Kapitalis –  Ahmed Ben Mustapha – 16 mars 2016

Il faut que l’accord de libre échange complet et approfondi (Aleca) avec l’Union européenne soit adapté aux besoins spécifiques de la Tunisie post révolution.

kapitalisDans une série de précédents articles consacrés aux relations entre la Tunisie et l’Union européenne (UE), j’avais déploré le caractère totalement déséquilibré et inéquitable des accords de partenariat conclus depuis l’indépendance ou envisagés après la révolution dont l’accord de libre échange complet et approfondi (Aleca) en cours de négociation. Et j’avais alors préconisé la renégociation du plan d’action en vue d’aboutir à l’élaboration en commun des termes d’un nouveau et véritable partenariat mutuellement bénéfique et profitable aux deux parties.

En fait, mon engagement sur ce dossier rejoint celui d’un nombre croissant d’activistes indépendants de la société civile récemment confortés par l’implication d’importantes organisations de la société civile tunisiennes et méditerranéennes; ce qui confère à ce mouvement d’opinion une importance et une influence accrues auprès de l’opinion publique et des décideurs des deux cotés de la méditerranée.

A ce propos il convient de relever que la Tunisie et l’UE ont convenu de tenir la réunion du conseil d’association tuniso-européen en avril 2016 dans un contexte marqué par une forte mobilisation de la société civile tunisienne sur les problématiques liées au partenariat avec l’UE dans la perspective d’une prochaine reprise des négociations entamées en octobre 2015 sur l’Aleca. Cet accord – fortement controversé en Tunisie – suscite les réserves et les craintes de nombreux activistes et spécialistes issus des sphères politiques, économiques, diplomatiques et universitaires ainsi que des milieux d’affaires, associatifs et syndicaux.

La société civile pour la refonte du partenariat avec l’UE

A noter que les formes d’expression de ces préoccupations – initialement limitées à quelques articles de presse – prennent de plus en plus la forme d’un courant d’opinion et d’un mouvement organisé impliquant pour la première fois d’importants acteurs de la société civile tunisienne et européenne représentatifs des deux rives de la Méditerranée.

L’objet de cet article est de focaliser l’attention sur ce mouvement d’opinion qui revêt à mon sens une importance capitale en raison de ses répercussions possibles sur la reformulation du cadre stratégique des négociations et des futures relations de la Tunisie avec l’UE.

En effet le gouvernement tunisien devrait tirer profit de cette mobilisation de la société civile pour demander le report des négociations et ouvrir une consultation nationale sur ce sujet dont les enjeux touchent à l’avenir de la Tunisie.

D’ailleurs, il est inconcevable de continuer à gérer ce dossier de nature stratégique comme s’il s’agissait d’un simple accord commercial; c’est pourquoi il conviendrait de le confier à la diplomatie tunisienne avec pour mandat la renégociation du plan d’action et la redéfinition de son contenu dans le but d’aboutir à un vrai partenariat, bilatéral et régional, d’essence politique, sécuritaire, économique et réellement profitable aux deux parties et aux deux rives.

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L’ALECA peut “aider à mieux positionner les produits tunisiens sur le marché européen”

La Tribune – Patricia Augier, Femise – 11 février 2016

la-tribuneÀ la veille de la conférence annuelle 2016 du Femise (*), dédiée au thème « Deux décennies après Barcelone : repenser le partenariat UE-Méditerranée », cet entretien avec Patricia Augier – présidente du Comité scientifique et coordonnatrice du Femise, économiste à l’Institut de la Méditerranée, professeur à Aix-Marseille Université – met en exergue l’intérêt que représente l’Aleca (Accord de libre échange complet et approfondi) pour le devenir des relations de l’Union européenne et des pays sud-méditerranéens, à commencer par la Tunisie.

On entend de plus en plus parler d’un futur « Accord de libre échange complet et approfondi » (Aleca) entre la Tunisie et l’UE ? De quoi s’agit-il concrètement ?

Il s’agit tout simplement d’un choix d’intégration plus profonde de l’économie tunisienne dans l’espace euro-méditerranéen. Il a pour but de compléter et d’approfondir la zone de libre échange pour les produits industriels qui a été mise en place en 1995 avec l’entrée en vigueur de l’Accord d’association. Celui-ci n’a en effet consisté qu’à réduire, de façon unilatérale, les droits de douane tunisiens sur les biens manufacturés en provenance de l’Union Européenne.

L’Aleca, en revanche, est un accord beaucoup plus ambitieux et beaucoup plus complexe. D’une part parce qu’il va concerner les droits de douane de deux secteurs sensibles, à savoir les services et l’agriculture, et qu’il va impliquer aussi des baisses de tarifs appliqués par l’Union européenne sur les produits agricoles en provenance de la Tunisie. D’autre part, parce que l’Aleca va également concerner les obstacles non tarifaires et l’harmonisation du système réglementaire vers l’acquis communautaire.

En quoi est ce que l’ALECA peut contribuer à l’amélioration de la situation économique et sociale de la Tunisie ?

Cet accord peut aider à mieux positionner les produits tunisiens sur le marché européen, en particulier dans l’agriculture. Mais pour anticiper les effets et mieux définir les politiques d’accompagnement à mettre en œuvre, il est nécessaire de conduire des études sérieuses et correctement ciblées selon les leviers utilisés – tarifs et/ou mesures non tarifaires et/ou convergence réglementaire – et les secteurs concernés.

Il est clair, en revanche, que les effets bénéfiques de l’Aleca seront conditionnés par les réformes et les changements qui seront menés à l’intérieur du pays. Ce serait une erreur de penser que l’Aleca puisse être le moteur du développement économique et social de la Tunisie.

De plus, il est indispensable de ne pas négliger les questions sociales. On ne peut pas avoir d’un côté, un système “sophistiqué” de règles qui convergent vers l’acquis communautaire et de l’autre, avoir une partie de la population dont les conditions de vie ne s’améliorent pas. Il sera indispensable de prendre en compte les préoccupations et les attentes du peuple tunisien.

Cet outil est-il adaptable à tous les pays partenaires Méditerranéens ?

L’UE et le Maroc sont engagés dans la négociation d’un Accord de libre échange complet et approfondi depuis mars 2013. L’Union européenne a aussi entamé des processus de préparations avec l’Égypte et la Jordanie.

L’Aleca est typiquement un outil à géométrie variable. Chaque pays peut en faire, théoriquement, ce qu’il veut et l’adapter à sa stratégie de développement. La priorité est plutôt la nécessité pour chaque pays d’avoir une vision stratégique claire et une bonne maitrise sur la façon de mobiliser l’Aleca pour accompagner cette stratégie avec une aide réelle et conséquente de l’UE.

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