L’ALECA peut “aider à mieux positionner les produits tunisiens sur le marché européen”

La Tribune – Patricia Augier, Femise – 11 février 2016

la-tribuneÀ la veille de la conférence annuelle 2016 du Femise (*), dédiée au thème « Deux décennies après Barcelone : repenser le partenariat UE-Méditerranée », cet entretien avec Patricia Augier – présidente du Comité scientifique et coordonnatrice du Femise, économiste à l’Institut de la Méditerranée, professeur à Aix-Marseille Université – met en exergue l’intérêt que représente l’Aleca (Accord de libre échange complet et approfondi) pour le devenir des relations de l’Union européenne et des pays sud-méditerranéens, à commencer par la Tunisie.

On entend de plus en plus parler d’un futur « Accord de libre échange complet et approfondi » (Aleca) entre la Tunisie et l’UE ? De quoi s’agit-il concrètement ?

Il s’agit tout simplement d’un choix d’intégration plus profonde de l’économie tunisienne dans l’espace euro-méditerranéen. Il a pour but de compléter et d’approfondir la zone de libre échange pour les produits industriels qui a été mise en place en 1995 avec l’entrée en vigueur de l’Accord d’association. Celui-ci n’a en effet consisté qu’à réduire, de façon unilatérale, les droits de douane tunisiens sur les biens manufacturés en provenance de l’Union Européenne.

L’Aleca, en revanche, est un accord beaucoup plus ambitieux et beaucoup plus complexe. D’une part parce qu’il va concerner les droits de douane de deux secteurs sensibles, à savoir les services et l’agriculture, et qu’il va impliquer aussi des baisses de tarifs appliqués par l’Union européenne sur les produits agricoles en provenance de la Tunisie. D’autre part, parce que l’Aleca va également concerner les obstacles non tarifaires et l’harmonisation du système réglementaire vers l’acquis communautaire.

En quoi est ce que l’ALECA peut contribuer à l’amélioration de la situation économique et sociale de la Tunisie ?

Cet accord peut aider à mieux positionner les produits tunisiens sur le marché européen, en particulier dans l’agriculture. Mais pour anticiper les effets et mieux définir les politiques d’accompagnement à mettre en œuvre, il est nécessaire de conduire des études sérieuses et correctement ciblées selon les leviers utilisés – tarifs et/ou mesures non tarifaires et/ou convergence réglementaire – et les secteurs concernés.

Il est clair, en revanche, que les effets bénéfiques de l’Aleca seront conditionnés par les réformes et les changements qui seront menés à l’intérieur du pays. Ce serait une erreur de penser que l’Aleca puisse être le moteur du développement économique et social de la Tunisie.

De plus, il est indispensable de ne pas négliger les questions sociales. On ne peut pas avoir d’un côté, un système “sophistiqué” de règles qui convergent vers l’acquis communautaire et de l’autre, avoir une partie de la population dont les conditions de vie ne s’améliorent pas. Il sera indispensable de prendre en compte les préoccupations et les attentes du peuple tunisien.

Cet outil est-il adaptable à tous les pays partenaires Méditerranéens ?

L’UE et le Maroc sont engagés dans la négociation d’un Accord de libre échange complet et approfondi depuis mars 2013. L’Union européenne a aussi entamé des processus de préparations avec l’Égypte et la Jordanie.

L’Aleca est typiquement un outil à géométrie variable. Chaque pays peut en faire, théoriquement, ce qu’il veut et l’adapter à sa stratégie de développement. La priorité est plutôt la nécessité pour chaque pays d’avoir une vision stratégique claire et une bonne maitrise sur la façon de mobiliser l’Aleca pour accompagner cette stratégie avec une aide réelle et conséquente de l’UE.

Lire l’article…




L’ALECA : quels enjeux sectoriels et thématiques pour l’économie tunisienne ?

workshop-04-04-2016Workshop organisé conjointement par ITC et la Présidence du Gouvernement le 4 avril 2016.

Le programme du workshop




Mohamed Chawki Abid

Comment devrions-nous approcher le projet ALECA ?

chawki-abid-2Mohamed Chawki Abid est, de formation, ingénieur des Mines (Ecole des Mines de Paris). Avec 23 ans d’expériences dans plusieurs groupes bancaires et 9 ans de direction de groupes privés, il a été, un moment en 2012, Conseiller principal du Président Moncef Marzouki, chargé des affaires économiques.
Il est très critique et très réticent contre le projet de l’ALECA. Dans cette tribune libre, il explique pourquoi…

Tout d’abord, il est instructif de rappeler que TTIP ou TAFTA, est l’accord de libre-échange transatlantique qui se négocie actuellement entre l’Europe et les États-Unis depuis 2013.
Les négociations n’en finissent pas et de nombreux européens ne veulent pas en entendre parler.
Selon eux, ces accords commerciaux feraient la part belle aux grands groupes industriels. Certains considèrent même que, si ces accords étaient signés, cela ferait des États Unis un empire à la tête des trois-quarts du commerce et des deux tiers du PNB mondiaux !
Si quelque 500 ONG européennes demandent à interrompre les négociations avec les Etats Unis sur le Tafta, c’est parce que, selon elles, les Américains veulent imposer aux Européens ce que ces derniers veulent imposer aux Maghrébins.
Aussi, ne devrions-nous pas exiger des préalables nécessaires à l’éclosion de négociations fécondes avec Bruxelles, notamment l’établissement du bilan de 20 ans de libre-échange avec l’UE (depuis 1995), ainsi que de l’étude de l’impact de l’ALECA sur l’économie nationale ?

Quid du bilan de l’accord de libre échange de 1995 ?

L’Accord de Libre Echange de 1995 avait prévu une période de 12 ans pour mettre à niveau l’industrie tunisienne, période s’étant avérée trop courte. L’aide financière promise et les IDE prévus n’étaient pas au rendez-vous. De ce fait, notre industrie manufacturière n’est pas parvenue à soutenir la concurrence européenne en qualité et en coût. L’importation est devenue un réflexe courant des affairistes et des rentiers, voulant se débarrasser des problèmes techniques, logistiques, financiers et sociaux.
L’analyse rétrospective de la structure sectorielle du PIB révèle que le secteur des ”industries manufacturières” a été malmené pour ramener sa contribution dans la formation du PIB de 22% en 1993 à 15% en 2014. Les 7 points perdus de l’industrie manufacturière ont profité aux activités de services, dont principalement : la grande distribution (super et hypermarchés), l’activité de concessionnaire auto, la téléphonie cellulaire, et les services non marchands (salaires de la fonction publique). En  dehors des services non marchands, ce sont des activités gros-importatrices, non exportatrices, et peu créatrices d’emplois relativement à la Valeur Ajoutée générée.
Au-delà des industries manufacturières et des services annexes, le même sort a été réservé à l’agriculture et au tourisme, ainsi qu’aux industries minières (y compris les carrières et les saumures), qui ont sérieusement reculé dans la formation du PIB national.
Evidemment, les implications ont été désastreuses sur la balance commerciale (baisse des exportations industrielles et accroissement des importations de produits à la consommation), ainsi que sur le chômage particulièrement chez les jeunes diplômés (affaiblissement de l’employabilité et précarité de l’emploi).
Naturellement, il s’en est suivi un recours démesuré à l’endettement extérieur pour nourrir les réserves en devises, en vue de couvrir partiellement le déficit de la balance courante (tiré par le déficit commercial). En outre, l’administration Tunisienne a appliqué naïvement l’accord de 1995 sans même oser enclencher les clauses de sauvegarde contractuelles.
Aussi, ne devrions-nous pas nous atteler à défendre nos intérêts préalablement à l’examen du projet ALECA, et à conclure un ”Accord rectificatif” pour remédier à cette situation asymétrique et inéquitable?

Objectifs de l’ALECA

Le but de l’ALECA porte sur l’approfondissement des relations commerciales entre le Tunisie et l’Union Européenne, dans toutes les activités de services et dans le domaine de l’agriculture. Ce faisant, l’ALECA vise à réduire les obstacles non tarifaires, faciliter les procédures douanières, libéraliser le commerce des services, assurer la protection de l’investissement et harmoniser les réglementations dans plusieurs domaines de l’environnement commercial et économique.
En outre, l’ALECA couvre plusieurs domaines dont les marchés publics, les mouvements de capitaux et de paiements, les normes techniques pour les produits industriels, les procédures douanières, les mesures sanitaires et phytosanitaires, les droits de la propriété intellectuelle, la concurrence, le commerce d’énergie, les aspects commerciaux de développement durable, etc.
Un tel projet, s’il venait à être adopté dans l’état par les autorités tunisiennes, donnerait le feu vert à la libre concurrence entre notre modeste dispositif des services et l’artillerie lourde des multinationales, sans parler du domaine agricole dont les écarts de compétitivité sont colossaux entre nos unités de dimensions familiales et les géants européens de l’agroalimentaire.

Que faire ?

A la veille du démarrage des négociations sur l’ALECA (Accord de Libre-Echange Complet et Approfondi), il y a lieu d’élaborer un diagnostic sur les 20 ans de libre-échange avec l’UE afin de :

  • évaluer les écarts des réalisations par rapport aux prévisions en termes de : subventions européennes, IDE, création d’emplois, développement des exportations, balance commerciale, balance des payements, endettement extérieur, etc.
  • apprécier les conséquences macro économique de cet accord, notamment sur le secteur des industries manufacturières (les PMI en particulier) et des services annexes
  • identifier les risques et les menaces à atténuer d’un commun accord (dérapages des déséquilibres).

Sans l’élaboration de ce diagnostic critique, et sans la confection d’un avenant correctif à l’ancien accord, il serait hasardeux d’engager des négociations sur le projet d’ALECA.
Il semble qu’il y ait eu production de documents – de part et d’autre – donnant des lectures différentes du bilan de l’accord Tunisie – UE de 1995. Il faudrait en organiser une évaluation collective, objective et sérieuse. A défaut, chaque partie continuera à voir uniquement ce qui l’arrange.
Du côté tunisien, l’analyse des écarts et l’étude du niveau de réalisation des objectifs n’ont malheureusement pas été publiées pour permettre aux experts indépendants et à la société civile de mesurer les retombées socio-économiques et de formuler des recommandations constructives.
Nous espérons que leurs résultats et conclusions soient bien exploités pour négocier d’abord des ajustements aux dysfonctionnements et des réparations aux carences.
Au terme de ces travaux préalables, l’entrée dans le carré des “négociations de l’ALECA” sera plus aisée.




Radhi Meddeb

Radhi Meddeb, PDG du Groupe Comete Engineering

Faisons de l’ALECA un passeport pour la modernité !

  • Donnons un contenu effectif au statut de partenaire privilégié
  • Exigeons la levée de toutes les barrières non tarifaires
  • La Tunisie a besoin, sur les 10 prochaines années, de créer 1.5 million d’emplois
  • C’est la seule voie pour immuniser et prémunir nos jeunes contre l’extrémisme et le désespoir.

radhi-meddeb-2Pour une voix d’expert autorisée sur nos rapports avec l’Union européenne, c’en est une !  Il faut simplement rappeler que c’est lui qui avait dirigé l’étude prospective sur l’impact de l’Accord de Libre Échange de 1995.
Radhi MEDDEB, que l’on ne présente plus, est diplômé de l’École Polytechnique de Paris et de l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris. Il est, depuis 1987, fondateur et PDG du groupe d’études COMETE Engineering. Il est également fondateur, après la révolution de janvier 2011, de ADS (Action et Développement Solidaire), une ONG qui a publié en octobre 2011, un ouvrage qui traduit la vocation inclusive du Think Tank : « Ensemble, Construisons la Tunisie de demain, Modernité, Solidarité et Performance ».
Pour lui, l’ALECA représente une « immense potentiel non exploité. Et il nous appartient, à nous Tunisiens, de conquérir ces marchés européens dont nous ne prenons que des bribes, d’en connaître les circuits et d’en identifier les hommes et les femmes qui font l’économie ».
Dans cette tribune d’expert, il invite la Tunisie à la modernité !

La Tunisie entame enfin avec l’Union Européenne les négociations de l’ALECA. Cela devrait donner un contenu effectif au statut de partenaire privilégié, annoncé depuis novembre 2012. Pendant longtemps, avant la Révolution, la Tunisie avait réclamé ce statut et avait même pris ombrage qu’il ait été accordé à d’autres pays de la région avant elle. Or, depuis trois ans et demi, peu de progrès ont été accomplis en la matière. Le dossier soulève une polémique et diverses parties réclament une évaluation des accords de 1995 avant d’avancer.
La Tunisie est engagée depuis longtemps dans un processus d’insertion dans des espaces économiques plus larges. L’Europe est le plus proche de ces espaces. Elle constitue pour nous une ouverture naturelle inéluctable.
L’Europe, malgré l’état atone de son économie, reste le premier marché à l’échelle mondiale, en termes de taille et de pouvoir d’achat. Pourtant, depuis 1995, nous sommes restés dans une démarche traditionnelle et passive. Nous continuons à exporter les mêmes produits vers les mêmes pays en nombre limité. Les rares diversifications ont été le fait de nos partenaires européens. Nous n’avons pas exploité l’immense potentiel de ce marché à notre portée.

radhi-meddeb-3L’ALECA, un immense potentiel à exploiter

L’exigence d’une évaluation rétrospective des accords de 1995 est légitime. En faire un préalable pour avancer serait une erreur préjudiciable à l’économie aujourd’hui.

Prenons ce qui nous est proposé, mais avançons avec discernement. Associons toutes les parties prenantes à ces négociations et évaluations. Mettons de notre côté tous les atouts pour une négociation éclairée.
L’Union Européenne nous invite à décliner nos propositions et à donner du contenu à l’ALECA. Prenons-la au mot et exigeons la levée de toutes les barrières non tarifaires, y compris la libre circulation des professionnels et des étudiants, mais aussi les certifications qui ne sont là que pour faire barrage aux produits et services non communautaires, une véritable mise à niveau de notre agriculture en termes de vulgarisation, de formation et d’acclimatation aux normes européennes. Exigeons un accès total aux fonds structurels pour l’aménagement du territoire, la recherche scientifique et l’innovation et enfin l’accès de nos étudiants au programme d’échange Erasmus. Faisons de l’ALECA, notre passeport vers la modernité et notre allié pour bousculer les multiples rentes de situation qui gangrènent notre économie.

Et, surtout, soyons solidaires, lucides et courageux. Les évolutions géopolitiques font planer, sur l’ensemble de la région, une menace globale de violence et d’obscurantisme. Le libre échange n’est plus ni suffisant ni adapté. Il faut passer à une démarche globale et structurante, mettre en place au profit de la Tunisie, seul espoir régional, un plan Marshall dont on a tant parlé et pour lequel on n’a rien fait.

La Tunisie a besoin, sur les 10 prochaines années, de créer 1.5 million d’emplois et de mettre ses infrastructures au niveau européen.
C’est la seule voie pour immuniser la Tunisie contre l’extrémisme et la violence et prémunir ses jeunes contre le désespoir.
Seule, la Tunisie n’y arrivera pas. Avec l’Europe, cela est possible, à condition que la volonté politique soit là. Scellons, avec courage, notre destin.




Tahar Sioud

Tahar Sioud, ancien ambassadeur

Oui pour un ALECA mûrement négocié !

tahar-sioud-2On le surnomme « le pionnier de la diplomatie économique », « le négociateur » ou le « diplomate banquier ». Lui, c’est Tahar Sioud dont le cursus a effectivement balancé entre la banque, la diplomatie et les portefeuilles ministériels. A chaque fois qu’il a fallu négocier avec l’Union Européenne (UE) ou les organismes internationaux économiques (Banque Mondiale, FMI…), on a eu recours à lui pour ses qualités de négociateur et pour sa grande connaissance des dossiers économiques. Et il a toujours répondu présent, quitte à abandonner, pour servir son pays, des postes internationaux fort rémunérateurs. Il est actuellement membre du conseil d’administration de la BIAT après en avoir été le président.
Comme l’un des négociateurs principaux de l’Accord d’Association en 1995 avec l’UE, nous ne pouvions donc trouver meilleur interlocuteur pour avoir un avis « autorisé » sur l’ALECA…

Extrait audio

Question : Avec la connaissance des dossiers de négociations économiques que vous avez, et avec le recul que vous avez maintenant, comment qualifieriez vous l’Accord d’Association de 1995 ?

Tahar Sioud : Bien que nous aurions pu négocier plus d’avantages et une meilleure mise à niveau de nos entreprises, je trouve que cet Accord d’Association de 1995 a eu des retombées très positives sur l’économie tunisienne. Cet accord a permis, entre autres, d’augmenter, voire doubler nos échanges avec l’UE. Regardez les chiffres de la croissance entre 1995 et 2010 (autour d’une moyenne de 5%) et celui des investissement étrangers. Et comparez avec les chiffres actuels (à peine 0,5% de croissance en 2015).
N’oublions surtout pas que près de 80% de nos échanges se font essentiellement avec les pays de l’UE. Nous devions donc garantir et pérenniser nos échanges avec ce principal partenaire. Certes, c’était un accord entre un ensemble européen déjà structuré et un pays en développement, mais c’est lui qui nous a encouragés à entamer d’importantes réformes à même de mieux nous inscrire dans l’espace économique méditerranéen et mondial. Certaines de ces réformes (lois et règlements) sont encore à finaliser chez nous.Globalement, je le trouve donc positif.

Q : La Tunisie a entamé les négociations d’un nouvel accord, l’ALECA (Accord de Libre Échange Complet et Approfondi) qui va étendre la levée des barrières douanières à d’autres domaines que l’industrie (Produits agricoles et agroalimentaires, produits de la pêche, services, investissements, finances marchés publics…). Quel est votre sentiment là-dessus ?

TS : L’accord de 1995 prévoyait déjà une ouverture progressive des frontières économiques. L’ALECA est donc une suite normale qu’il nous appartient de bien négocier. Cet accord est primordial pour l’avenir de notre économie. Il est fondamental pour notre positionnement géostratégique dans notre région naturelle méditerranéenne. Mais prenons le temps qu’il faudra pour bien le négocier et négocions le mieux possible pour obtenir un bon agenda et de meilleures mesures d’accompagnement.
En parallèle, consolidons cet accord par une meilleure stratégie régionale, multilatérale ou bilatérale, maghrébine, arabe et africaine.

Q : De nombreuses voix s’élèvent contre la signature de cet ALECA, arguant de la fragilité de certains de nos secteurs économiques comme l’agriculture, l’agroalimentaire, les services, les finances…

TS : Sans avoir une position dogmatique et idéologique de principe contre cet accord comme certains, je suis pour la négociation de la progressivité de sa mise en application et pour des mesures d’accompagnement consistantes, voire une liste « négative » et certaines mesures protectionnistes, (au moins provisoirement), en faveur de certains de nos secteurs encore fragiles. Je ne pense pas, cependant, qu’il y ait chez nous quelque secteur que ce soit qui soit menacé de disparition.
Je suis certain que nos partenaires européens sont sensibles à cet aspect des choses et qu’ils respecteront nos choix et prioritésen nous accordant à la fois cet échéancier et ces mesures d’accompagnement et de mise à niveau.
Le contexte géopolitique nous permet actuellement de revendiquer un statut plus que privilégié. La Tunisie est le seul pays arabe à avoir réussi sa « révolution » et à asseoir les bases d’une véritable transition démocratique que l’UE ne peut pas ne pas aider. Elle nous a, d’ailleurs, largement aidé dans cette voie.
Ainsi, notre intégration dans cet espace économique euro-méditerranéen devrait-il se faire au moins dans les mêmes conditions que celles accordées aux pays de l’est qui ont rejoint l’UE!

Q : Quels seraient d’après vous les « avantages » de l’ALECA ?

TS : L’ALECA va, d’abord, nous inciter à accélérer nos propres réformes juridiques et réglementaires en cours (Code des Investissements, Code du Commerce, réforme judiciaire…).Ces réformes ont trop tardé. Il s’agit donc d’un défi, d’un challenge pour nous mêmes et dont les retombées sur le moyen et long termes ne peuvent qu’être que positives.
Au plan commercial, il va nous permettre de sortir du « contingentement » actuel de nos exportations, y compris pour nos produits phares comme l’huile d’olive. Il va attirer vers notre pays des investissements qui vont nous permettre de créer des emplois pour nos jeunes. Et Dieu sait si nous en avons besoins !
Pour les services, prenons, par exemple, le secteur de la santé. Nous pouvons parfaitement, avec notre maîtrise et notre savoir-faire actuels, promouvoir ce secteur et étendre notre marché international encore plus. D’autres secteurs de nos services, cependant, doivent encore être protégés et mis à niveau, du moins provisoirement.

Q : Et pour le consommateur tunisien ?

TS : Les détracteurs de l’accord arguent que l’Accord d’Association de 1995 aurait fait perdre au Trésor tunisien près de 24 millions de TND de taxes non perçues, (chiffre à vérifier, d’ailleurs) ! Il suffit de leur poser la question suivante : A qui ces taxes non perçues auraient-elles profité ? Au consommateur tunisien, bien entendu, puisque, forcément, elles auraient contribué à faire baisser les prix !
Cessons d’être dogmatique ! Soyons réalistes, mais défendons nos intérêts et nos choix avec rigueur, intelligence et persévérance.

Q : Pour beaucoup, il faudrait que la Tunisie revendique, avec la libre circulation des produits, des capitaux et services, la libre circulation des personnes…

TS : Ne confondons pas la libre circulation des personnes et l’immigration ! Il est évident que la libre circulation des capitaux, des produits et services doit avoir pour corollaire la libre circulation des hommes d’affaires, des commerçants et des investisseurs puisque, aussi bien, les Tunisiens pourront investir en Europe et concurrencer les entreprises européennesmême au niveau de leurs marchés publics. Mais cela n’a rien à voir avec la politique d’immigration.

Q : Quel serait selon vous le rôle de la société civile dans ces négociations ?

TS : Le rôle de la société civile est fondamental. Elle doit être consultée et écoutée. Elle doit donner son avis, proposer des solutions. Mais ce n’est pas à elle de mener les négociations qui doivent rester du ressort des autorités gouvernementales.
S’il y a chez certains une véritable crispation contre cet accord, c’est dû à mon avis à un déficit d’information. La question est complexe et il appartient aux deux partenaires de combler ce manque d’information.

Q : Votre conclusion sur l’ALECA ?

TS : Pour moi, c’est un accord incontournable, mais qu’il va falloir le négocier très sérieusement et obtenir de bonnes mesures d’accompagnement et un bon agenda d’application (n’oublions pas que l’Accord Association de 1995 a mis 12 ans avant d’être entièrement appliqué !). La balle est donc dans notre camp !
Pour nos amis européens, j’espère qu’ils accepteront les doléances et priorités tunisiennes et qu’ils accorderont l’appui nécessaire pour permettre à la Tunisie de se mettre à niveau de ce partenariat global envisagé. Nous restons, après tout, les plus proches voisins méditerranéens de l’Europe !




Wafa Laamiri

Wafa Laamiri, Présidente nationale du Centre des Jeunes Dirigeants

Nous devons négocier selon nos priorités !

Elle est jeune, dynamique et elle parle avec conviction et franchise. Elle, c’est Mme Wafa Laamiri, Présidente nationale du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprises), l’une des rares associations de jeunes (elle préfère parler d’organisation) spécialisées en affaires économiques. Elle est, par ailleurs, Directrice générale de CRIT Tunisie, un cabinet de Ressources Humaines. Nous l’avons contactée en marge d’un petit-déjeuner débat autour du « Classement des administrations tunisiennes », une première enquête sur la perception de l’administration par des jeunes dirigeants initiée par le CJD, un baromètre qui espère devenir annuel. Le CJD couvre pratiquement tous les secteurs de la vie économique, à l’exception de ceux de l’agriculture et de la pêche. Mais la porte leur reste ouverte.
Bien entendu, au CJD on suit de très près le projet de négociations autour de l’ALECA. Voici ce qu’elle en pense. Verbatim…

Extrait audio

Au CJD (Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprises), nous ne pouvons être contre la libéralisation du commerce et la levée des barrières douanières. Mais, tout en abordant la question de cet accord d’une manière positive, nous avons quelques réserves.
Nous disons qu’il nous appartient, à nous Tunisiens, la balle étant dans notre camp, d’aborder la table des négociations avec le maximum d’atouts en notre faveur.

wafa-laamiri-2Nous devons négocier selon nos priorités et selon les contraintes de notre tissu économique. Oui, donc aux négociations mais pour défendre les intérêts de la Tunisie.
Il y a encore chez nous des secteurs qui doivent encore être protégés, comme l’agriculture et les services. S’il faut, pour les défendre, établir des barrières, mettre en place des dispositions protectrices, avancer des exigences, faisons-le.
Il est vrai qu’il paraît incohérent d’être pour l’ouverture et de défendre en même temps une certaine fermeture. Cependant, il y a de gros enjeux pour certains secteurs de notre économie.
Négocions, négocions comme il faut cet accord de l’ALECA, mais, encore une fois, à nos conditions.  Profitons des erreurs, des enseignements des négociations passées de l’Accord de Libre Echange de 1995 ! Hélas, je n’ai pas vu, jusqu’ici, de bilan complet de l’impact de cet accord sur notre économie. On nous donne quelques chiffres par-ci par-là, mais il n’y a vraiment pas de bilan approfondi.
Personne ne peut être, par principe, contre la libéralisation du marché. Mais, pour nous, le bilan des accords passés est un préalable incontournable. Rassurez-nous !
Il y a également la question de la réciprocité totale, particulièrement en matière de libre circulation des personnes. Demain, malgré notre possibilité d’accès au marché européen, nous pouvons encore rencontrer le handicap du visa.
Il y donc des préalables importants à mettre en place au sein de ce futur ALECA.

Quel rôle pour la société civile ?

Nous, au CJD, nous participons positivement à tous les débats sur les questions économiques du pays. Nous abordons toujours les questions d’une manière constructive, car nous voulons faire avancer notre économie.
On est pratiquement la seule structure de jeunes à vocation économique. Et multisectorielle, sans l’agriculture et la pêche, toutefois. Nous cherchons d’ailleurs à attirer vers nous les jeunes qui ont des projets dans ces deux secteurs.
Notre rôle est d’étudier en profondeur les questions économiques. Nous formons des commissions pour travailler sur les sujets abordés. Nous y faisons appel à des experts extérieurs lorsque c’est nécessaire. Notre objectif ?  Faire des propositions et des recommandations concrètes. C’est cela notre valeur ajoutée. C’est ce que nous venons de faire, par exemple, pour le futur Code des Investissements en préparation.
Pour l’ALECA, nous sommes en attente d’une feuille de route, d’un agenda bien précis et des projets de documents à négocier pour les étudier.